Après avoir achevé d’écrémer de ses arbres les forêts du Québec, détruit l’habitat des caribous au sud de son écosystème vital, le gouvernement nous propose rien de moins que de récolter ce qui reste de composantes de la biodiversité: la biomasse. Pour nous faire avaler plus facilement la pilule, on tente de nous faire croire que produire de l’énergie ou des produits de remplacement à partir des arbres et autres plantes non commerciales, c’est de la création de richesse, de jobs et de valorisation verte, puisque renouvelables. Bullshit, c’est ni plus ni moins que la dernière phase de l’usurpation du trésor public au profit des « money junkies ».
Henri Jacob, président
Limites à l’utilisation de la biomasse forestière comme source d’énergie dans un contexte d’urgence climatique
Pendant une fête de famille, deux cousins argumentent à propos de leurs systèmes de chauffage.
Le premier, Québécois, se chauffe aux granules de bois et argumente que son système est «carbone neutre» parce qu’il utilise une énergie renouvelable, ce qui est nécessairement bon pour l’environnement.
Le deuxième, Albertain, se chauffe au gaz naturel et considère cette source d’énergie plus propre que le bois.
Qui a raison? Pas évident. Saviez-vous que pendant sa combustion, le bois émet plus de CO2 que le charbon?
Qu’est-ce que la biomasse?
Lorsqu’une plante ou un déchet de source organique (végétale, animale ou fongique) est utilisé pour produire de l’énergie, elle est considérée comme de la biomasse. C’est une énergie utilisée depuis des milliers d’année.
Dans le contexte actuel d’urgence climatique, plusieurs initiatives cherchent à éliminer la dépendance de l’humanité envers le pétrole. On parle de transition énergétique, d’ajouter des sources d’énergie renouvelable dans le «mix énergétique», ce qui diminuerait notre dépendance au pétrole. La biomasse est vue comme une solution à ce problème.
La biomasse est considérée comme une énergie renouvelable, car elle s’inscrit dans le cycle biologique du carbone. Une plante, grâce à la photosynthèse, absorbe du CO2 présent dans l’atmosphère et en retire le carbone nécessaire à sa croissance. À la fin de sa vie, la plante se décompose, rejetant alors le même carbone dans l’atmosphère, sous forme de CO2. Ce bilan est neutre, puisque le carbone capté et dégagé par la plante se trouvait déjà dans l’atmosphère. On peut aussi considérer que la plante est renouvelable, puisqu’elle peut repousser et recommencer le processus dans un laps de temps relativement court.
Parmi les sources de biomasse, notons quelques exemples:
- La culture du maïs ou du blé pour produire l’éthanol, un carburant liquide;
- La fermentation anaérobique des déchets organiques pour produire du gaz naturel renouvelable (bac brun, déjections animales, boues de stations d’épuration, boues organiques industrielles, etc).
- Le bois, sujet du présent article, peut être utilisé en combustion directement, gazéifié, fermenté, pyrolysé, etc.
- Et bien d’autres.
La biomasse forestière en remplacement des combustibles fossiles
Les forêts sont d’immenses réservoirs de carbone emprisonné. À l’échelle d’une forêt mature, le cycle de carbone est présent à toutes les étapes. Des arbres grandissent en captant du CO2, d’autres meurent et se décomposent pour laisser la place à la génération suivante.
Les arguments suivants sont souvent avancés lorsque la biomasse forestière est proposée en substitution aux combustibles fossiles:
- La création du combustible fossile a demandé des millions d’années et est donc non renouvelable à l’échelle humaine;
- Il est mieux d’utiliser la biomasse, renouvelable, plutôt que d’utiliser un combustible fossile;
- L’extraction et l’utilisation des combustibles fossiles séquestrés dans la croûte terrestre amène le dégagement de nouveau carbone dans l’atmosphère (sous forme de CO2), en comparaison avec la biomasse, qui ne fait que recycler le carbone déjà présent, donc «carbone neutre».
Même si ces arguments sont vrais, cette logique est incomplète car elle manque de recul. Il n’est pas rigoureux de considérer la biomasse forestière comme «carbone neutre», car ça sous-entend que son utilisation n’impacte pas la concentration en CO2 dans l’atmosphère. Considérant que sur une base énergétique commune (kWh pour kWh), la combustion du bois émet davantage de CO2 dans l’atmosphère que la combustion des combustibles fossiles, l’impact immédiat de leur remplacement par la biomasse forestière sera négatif, et ce jusqu’à ce que la régénération des arbres ait séquestré l’excédent de carbone associé – à condition que cette régénération ait effectivement lieu.
La dette de carbone
Puisque la biomasse forestière émet davantage de CO2 mais que celui-ci provient d’une source renouvelable, on cherche à déterminer le temps requis avant que le «surcoût» d’émissions associé au bois (par rapport à un combustible fossile) ne soit séquestré à nouveau par la forêt. C’est ce qu’on appelle le temps de remboursement de la dette de carbone. L’idée est donc ici de déterminer quand les gains environnementaux se manifesteront et de décider si ce délais est acceptable.
Le problème est qu’il est plutôt difficile de calculer ce délais, car de nombreuses hypothèses et de nombreux facteurs influenceront le calcul. En regard à la dette de carbone, chaque projet est unique:
- Quelle est la provenance du bois? S’agit-il de bois vivant ou de résidus?
- S’il s’agit de résidus forestiers, quelle est leur provenance et est-ce que leur récolte posera un frein à la régénération de la forêt?
- Quel est le combustible fossile remplacé par le bois?
- Quel est le niveau de transformation requis pour que la biomasse puisse être utilisable? Quelle est la quantité d’énergie requise pour la récolte, le transport et la transformation (séchage, broyage, transformation en éthanol, huile pyrolytique, biocharbon, etc.)?
- Quelle sera l’utilisation de la biomasse et quelle en sera l’efficacité (chauffage, production d’électricité, cogénération, biocarburants, métallurgie, etc.)?
Le lecteur intéressé ira faire quelques tentatives sur un calculateur se trouvant sur le site web de Ressources Naturelles Canada et pourra constater que certains projets peuvent avoir des dettes de carbone qui se comptent en dizaines (voire centaines) d’années. Par exemple, la substitution du gaz naturel par des résidus forestiers pour produire de la chaleur présentera un gain positif après une période variant de 25 à 40 ans. C’est uniquement après cette période que le projet à la biomasse aura un bilan environnemental positif et ce, à condition que la forêt se régénère.
Les orientations gouvernementales
La biomasse forestière est considérée comme «carbone neutre» dans bien des juridictions, notamment l’Europe, les États-Unis et le Québec. La filière est développée, encouragée et subventionnée, en étant considérée comme un remplacement aux combustibles fossiles.
Au Québec, la biomasse forestière résiduelle est une énergie subventionnée dans l’objectif de favoriser une transition énergétique sans hydrocarbures. La biomasse doit cependant provenir de sources «résiduelles», une définition qui sous-entend un impact environnemental positif dans un délai relativement court (une faible dette de carbone).
Puisque les résidus forestiers sont disponibles en quantité limitée et que le marché des bioénergies est en croissance, d’autres approvisionnements sont donc requis. Une seconde orientation au Québec est donc d’autoriser la récolte de bois vivant en forêt pour approvisionner le marché de la bioénergie. Ce débouché tombe donc à point pour ces «bois sans preneurs» ou «bois de trituration», ne trouvant plus d’acheteurs depuis le déclin de l’industrie des pâtes et papiers. Cependant, la dette de carbone de l’approvisionnement en bois vivant est beaucoup plus longue que celle des résidus forestiers et l’impact environnemental de ces projets ne sera probablement pas positif à court, ni à moyen terme.
La question qui tue
Puisque le sujet parle d’énergies renouvelables, la question suivante est de mise:
Si on considère la forêt comme une ressource renouvelable, est-ce que cela implique nécessairement que la ressource est correctement et durablement renouvelée?
La réponse n’est pas claire et un doute existe. Est-ce que la biomasse forestière est effectivement une énergie renouvelable ou partiellement renouvelable?
Selon le Bureau du Forestier en Chef du Québec, la forêt est exploitée de façon durable. L’évaluation est basée sur le calcul des possibilités forestières, une évaluation théorique basée sur les rendements espérés des travaux sylvicoles. Ce calcul cible l’exploitation commerciale de la forêt en permettant la récolte d’un certain volume de bois sans impacter la régénération.
Environnement Canada dresse cependant un portrait national très différent. Selon eux, les forêts Canadiennes émettent plutôt davantage de carbone qu’elles en séquestrent et ce, depuis 2001. En d’autres mots, la forêt Canadienne n’est pas renouvelée au même rythme que sa destruction. D’année en année, le réservoir se vide, comme pour le pétrole.
Les sceptiques diront que les émissions de la forêt sont largement causés par les insectes et les feux de forêt. Or, plusieurs études récentes démontrent une corrélation entre le réchauffement climatique, les pratiques sylvicoles et ces événements dits «naturels».
Constatons aussi que le recul des forêts est un constat indéniable, particulièrement en zone urbaine et en banlieues. J’ai (n=1) vu bon nombre de forêts être rasées pour faire des développements domiciliaires et même un 18 trous de golf derrière la maison de mon enfance. Les arbres qui s’y trouvaient ne stockeront plus jamais de carbone.
En conclusion
Le contexte d’urgence climatique et les objectifs de carboneutralité pour 2050 demandent des actions concrètes et conséquentes, amenant des résultats quantifiables rapidement. L’utilisation énergétique de la biomasse forestière peut être un outil intéressant pour l’atteinte de ces objectifs, lorsqu’il s’agit de résidus qui se seraient autrement décomposés. Cependant, la coupe d’arbres vivants pour l’énergie ne saurait être facilement justifiée d’un point de vue environnemental dans l’urgence actuelle, puisque cette action ne générera très probablement pas de résultats positifs avant l’échéance climatique.
S’il est souhaité que les actions posées aujourd’hui aient un impact réel sur la diminution de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, il convient de favoriser les projets ayant la dette de carbone la plus faible lorsque vient le temps de faire des choix. En effet, en omettant la dette de carbone de la biomasse forestière, on pourrait faire l’erreur de croire à la carboneutralité en 2050 alors que nos émissions auront continué d’augmenter et n’auront même pas encore atteint leur pic à ce moment.
Collaborateur anonyme.